[nettime-fr] Maurice Dantec décrit la contestation comme du marketing...

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Page 584 du Théâtre des opérations, à propos des manifestations anti-OMC de
Seattle, Maurice G. Dantec a écrit ceci : " Nous y voyons de jeunes mômes de
hippies néobourgeois errant entre deux raves, désoeuvrés et sans culture, et
ne désirant ni oeuvre ni culture, qui essaient de se la rejouer Mai 68 sous
l'oeil de cent cinquante chaînes de télévision venues du monde entier pour
goûter le spectacle et augmenter le prix unitaire de l'espace de publicité.
(...) "

Centre de commandement
" A quand des émeutes sponsorisées par Coke, Molson Dry ou Nitendo ? "
Dantec a un élégant sens du timing. Depuis quelques mois, l'écho rance d'un
" retour de l'anarchisme " cogne à nos oreilles ? Les rumeurs pathétiques
d'une " révolution à venir " barrent la une de nos gazettes ? L'auteur des
Racines du mal - estampillé " gauchiste " sur un malentendu - arme ses
missiles. Livre un " journal métaphysique et polémique " de l'année 1999 aux
allures de " centre de commandement ".

La noosphère publicitaire
Et bombarde quelques vérités inconfortables mais essentielles, jadis
énoncées par les situationnistes : la contestation n'est jamais un
épiphénomène dans la société " capitaliste ", elle est son fondement même.
Ceux qui parlent de révolution ferait mieux de se savonner sept fois la
langue : " Aujourd'hui, constate Dantec, Contestation Incorporated est une
branche de la noosphère publicitaire. " Et ce qui s'annonce n'est autre que
la fin de l'homme, l'ultime cataclysme, le chaos.

646 pages
Le Théâtre des opérations est un objet littéraire non identifié : " Ni
journal intime, ni chronique de l'actualité, ni essai critique, ni pamphlet
philosophique, ni acte de sabotage moral, ni même acte de foi, et pourtant
un peu de tout ça à la fois ", écrit Dantec. Un an durant, Dantec y a
consigné quotidiennement ses pensées. Résultat : un aimant de 646 pages où
l'attraction le dispute à la répulsion, une rafale de fulgurances qui
élèvent et déstabilisent. Suivre Dantec dans sa spirale réflexive, c'est
comme partir en vacances avec l'incroyable Hulk à l'île de Ré.

Les sauts quantiques
Pas le truc le plus apaisant qui nous soit arrivé cette année. Car le
Théâtre des opérations compile avec une rare acuité les non-dits obsédants
des années 00 : l'apocalypse et la pop culture, la conspiration et les sauts
quantique, l'ADN et la mystique. Il est question des visites extraterrestres
occultées par l'armée américaine. De Dostoïevski, Léon Bloy, Philppe K.
Dick, Nietzsche et Homère.

 Abracada Dantec
" Il est désormais impossible de penser, de sentir, d'agir selon les modèles
dont nous avons hérités. Se dire de gauche ou de droite, pour le progrès ou
la conservation, n'a strictement plus aucun sens. "
 De l'infini lâcheté de l'Europe face à la Serbie. De Brian Eno, Johnny
Lydon et The Verve. De la fin de l'homme. De l'avènement prochain du Christ.
Mais au-delà d'une masse critique d'informations qu'un an de lecture ne
suffirait sans doute pas à digérer, il y a une démarche qui, à elle seule,
fait du Théâtre des opérations l'un des livres les plus importants de
l'époque.

Taffe de pollen
Une quête fondée sur l'acceptation du paradoxe, du mystère, de l'accident.
Un sabotage en règle de nos certitudes les plus établies. " C'était l'objet
même de ce travail, convient Dantec, entre une gorgée de Coca et une taffe
de pollen. Après la parution de mon troisième roman, Babylon Babies, j'ai
voulu faire une pause critique. J'ai laissé venir les choses du plus profond
et j'ai été moi-même surpris par un certain nombres d'idées exprimées dans
ce bouquin."

Nietzche ou le Christ
"Je voulais ouvrir les boîtes de Pandore : si écrire consiste à répéter ce
que je sais, ça n'a aucun intérêt. On pense d'abord contre soi-même. D'une
page à l'autre, je disserte sur Nietzsche ou le Christ, mon côté
ultradémocrate ou mon côté ancien régime, mon ultracapitalisme ou mon dégoût
de la machine marchande. A partir de là, soit je camoufle ces contradictions
et je me fait passer pour un gentil social-démocrate, soit j'essaie
d'exprimer une vérité. "

Lévy et José Bové
La vérité, la voici : il est désormais impossible de penser, de sentir,
d'agir selon les modèles dont nous avons hérités. Se dire de gauche ou de
droite, pour le progrès ou la conservation, privilégiant la raison ou
l'émotion, n'a strictement plus aucun sens. Les valeurs qui, deux siècles
durant, ont fourni les socles de la vision occidentale sont autant de
fantômes dont les anciens corps ont disparu. " Je voulais tirer sur cette
ligne de front factice qui oppose les tenants de la pensée unique et leurs
adversaires, Alain Minc et Pierre Bourdieu, Pierre Lévy et José Bové. "

Du côté du barbare
Les branches sont apparemment différentes mais elles sont liées à la même
souche : la modernité, les Lumières, le rationalisme. Soit un " nihilisme "
échoué dans les charniers d'Auschwitz. " Il est facile de mettre Hitler du
côté du barbare. En vérité, c'est exactement le contraire : le nazisme est
l'ultime retournement de la civilisation occidentale contre elle-même, la
conséquence catastrophique du rationalisme - d'ailleurs, pour entrer dans la
SS il fallait avoir un doctorat de philosophie, de philologie, de médecine
ou de droit. Car il n'y a rien de plus irrationnel que le rationalisme, rien
de plus absurde que d'ignorer la dimension irrationnelle de la condition
humaine. " Dantec sait qu'il est condamné à inventer de nouvelles vérités, à
avancer à tâtons dans un territoire vierge, à slalomer sur un champ de
mines.

La fin de l'homme
Abattant toutes les barrières de la connaissance, il traque donc tous
azimuts : sagesses anciennes et nouvelles technologies, littérature et
philosophie, histoire des civilisations et chroniques rock. Et trouve à
Montréal un poste d'observation idéal : " Je veux vivre le plus près du cour
de la machine. C'est là que s'expérimentent les dissolutions et donc les
solutions. C'est là qu'il faut être si on veut établir une critique de la
fin de l'homme, du capitalisme de troisième espèce."

Grands cataclysmes
"La démocratie en Europe est l'aboutissement de quinze, vingt siècles
d'histoire. Mais elle est l'acte de naissance des Etats-Unis. L'Amérique du
Nord est encore une civilisation en devenir, de grands cataclysmes peuvent
survenir. Et je les invoque personnellement. Afin que cela arrive, le
capitalisme doit régner outrageusement, jusqu'à épuisement. C'est de là que
surgira, telle une métastase, un stade nouveau de l'humanité. " Ils sont
légions, par les temps qui courent, les prophètes de la fin.

Rideau de fumée
Mais à de rares exceptions (les trois Michel - Maffesoli, Houellebecq,
Bounan), force est de constater que le créneau est largement encombré de
nains céliniens qui ne théorisent que leur propre neurasthénie et se refuse
à envisager un possible recommencement. Chez Dantec, au contraire, la fin
n'est qu'un début. Ses hypothèses, intuitions et fulgurances sont autant de
grenades mises à notre disposition pour trouer l'épais rideau de fumée qui
camoufle l'horizon.
Sur le Théâtre des opérations, le meilleur est à venir.

La néobourgeoisie
Les cataclysmes que Dantec invoque sont un sursaut de vie qui viendrait
contrer une " catastrophe bien plus grande provoquée par notre inaction. Le
problème, c'est qu'aujourd'hui plus personne ne prend de risques. Nous
sommes en train de chuter mais personne ne réagit. Malgré les basculements
de paradigme que provoquent les découvertes scientifiques - la physique
quantique, les théories du chaos, l'ADN - la néobourgeoisie est toujours
juchée sur des valeurs positivistes du XIXe siècle. Là est le danger. "

L'idéologie chrétienne
Le futur selon Dantec renvoie dos à dos le naturisme angélique et l'utopie
techno-beauf, la civilisation et la barbarie. Il s'agit en fait d'un
dépassement de l'homme en un être supérieur. Dans le Théâtre des opérations,
il est beaucoup question du Christ : non pas le messie crucifié de
l'idéologie chrétienne mais le dieu vivant, le surhomme, le posthumain
réalisé. " C'est une vérité difficile à admettre pour une société
hypertechnologique persuadée que c'est depuis la science en elle-même que va
surgir le renouveau."

Des extraterrestres
"En fait, je suis convaincu que les sciences et les technologies vont
seulement produire les conditions initiales permettant l'accident
cataclysmique. Mais on ne sera pas d'où la catastrophe viendra. Dans Babylon
Babies, le surhomme - les bébés que portent Marie Zorn - survient à cause de
la science mais lors d'un accident, lorsque la science ne suit plus son
programme. C'est ce que j'attends. " Précision : Dantec va même jusqu'à
émettre l'hypothèse que des extraterrestres, étant jadis passés par un stade
proche de l'homme, nous guideront sur cette voie.

Schizophrénie ?
Fumeux ? Peut-être. Barré ? Sûrement. Ne constate-t-il pas lui-même : " Je
viens d'écrire vingt pages d'une seule traite, comme cela se produit
désormais avec des fréquences qui devraient m'inquiéter un peu plus qu'elles
ne le font. Lorsque je relis ces pages, je me demande angoissé : "Mais où
donc étais-je quand on a écrit ça ?" " Schizophrénie ? " Quand tu écris, tu
as l'impression d'être un médium. Voilà pourquoi je ne crois pas à la
littérature du moi. "

Santé mentale
Dans son journal, Dantec évoque le frôlement avec la folie, les crise quasi
psychotiques, lorsque, vers l'âge de 20 ans, il était persuadé d'être frappé
de schizophrénie. Et là présence permanente - dès l'âge de 4 ans lors de
crises d'asthmes - de la mort. L'hypothèse est difficile à ignorer : et si
le millénarisme de Dantec n'était que le résultat d'une santé mentale
déviante ? " Tu as tout à fait raison de poser la question, répond-il avant
de marquer un silence. "

Illumination mystique
" Peut-être suis-je bon pour l'asile, peut-être suis hors sujet de A à Z.
C'est un doute insécable. " D'autant plus insécable que, comme le rappelle
Michel Bounan dans son nouveau livre, Sans valeur marchande (Allia), les
troubles mentaux ne disparaîtront pas avec la fin des temps marchands. Au
contraire, il est d'autre époque qui vénère la folie pour une raison simple
: elle est au fondement même de l'illumination mystique.

Crâne rasé
La folie de Dantec est de celle qui le pousse à travailler, jour et nuit,
mue par une urgence supérieure, la conviction de catastrophes métaphysique
imminentes. Le Christ adviendra-t-il ? Son Jean-Baptiste est en tout cas
déjà là. Il a le crâne rasé et porte des lunettes noires. Il croit aux
extraterrestres et est publié dans la respectable collection blanche de la
NRF. Il se nomme Maurice G. Dantec.

"Le Théâtre des opérations" 

Ph. Nassif

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H.S.
"Révolution Blanche"
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