-|rosta|- on Mon, 20 May 2002 12:37:08 +0200 (CEST)


[Date Prev] [Date Next] [Thread Prev] [Thread Next] [Date Index] [Thread Index]

[nettime-fr] Contre-sommets : traitement mediatique et spectacularisation dela contestation


Les  contre-sommets :  traitements
médiatiques et «spectacularisation» de la contestation

 « Vivendi  Universal  offrira  aux  consommateurs  de  la musique, du
 sport,  de  la télévision, de l'information, des programmes éducatifs
 et  des jeux interactifs, via le satellite, la TV, la téléphonie fixe
 et  mobile,  et Internet, sur tous supports, à tout moment et en tout
 lieu »,  Jean-Marie  Messier,  « Vivre  la diversité culturelle », Le
 Monde, 10 avr. 2001.

 « Bien  que  nos renseignements soient faux, nous ne les garantissons
 pas », Erik Satie.



Les  médias  « officiels »  (autrement  appelés médias « intégrés » ou
« institutionnels »),  prétendent fournir l'information selon un cadre
soi-disant  « objectif ».  Le  thème  de l'objectivité est déjà en soi
critique,  car  l'« objectivité »  a  du  mal à être crédible dès lors
qu'on  sait  que tout est subjectif (puisqu'au sens philosophique, les
individuEs,  qui  sont  le  médium du langage, sont définiEs comme des
« sujets »   et   non  comme  des  « objets »).  L'objectivité  existe
seulement  en  tant  qu'idéologie  véhiculant  la  vision  de  l'ordre
dominant  qui s'affirme comme la seule étant « vraie ». C'est pourquoi
les médias « officiels » apparaissent souvent comme des intermédiaires
au  service  de  l'ordre  établi. Cette question des médias nous amène
plus  profondément  à nous interroger sur le problème de l'utilisation
de    différentes    formes    de    médiums    dans    le    but   de
transmettre («communiquer »)  un message, et sur les risques qu'il y a
alors  de  sombrer  dans  la  spectacularisation  de l'acte politique,
spectacularisation  qui,  à terme, est synonyme de sclérose politique.
Certes, on a besoin de rendre visible un message pour qu'il soit connu
par  le  plus grand nombre ; mais l'idée voudrait que ce message ne se
réduise  pas  à  des  aspects  spectaculaires  qui  ne sont, en fin de
compte,   qu'un  moyen  d'accroche  pour  inciter  à  approfondir  les
problèmes.   C'est   en  ceci  que  les  contre-sommets  peuvent  être
intéressants  d'un  point  de vue tactique. Dès lors, la problématique
concernant   la   question   de   transmission   visuelle  durant  les
contre-sommets,   semble   tourner   essentiellement   autour   de  la
dialectique    récupération-marginalisation    des    mouvements    de
contestation  (dialectique  qui  s'articule elle-même autour du risque
problématique d'une « spectacularisation » des formes contestataires).


Procédés      de      « récupération »     dans     les     stratégies
médiatico-institutionnelles

«  En  voyant  ces spectacles, j'ai voulu rire comme les autres ; mais
cela,  étrange imitation, était impossible. J'ai pris un canif dont la
lame  avait  un  tranchant  acéré,  et  me  suis  fendu les chairs aux
endroits  où  se  réunissent  les  lèvres.  Un instant je crus mon but
atteint.  Je  regardai  dans  un  miroir  cette bouche meurtrie par ma
propre  volonté !  C'était  une  erreur !  Le  sang  qui  coulait avec
abondance  des  deux  blessures  empêchait d'ailleurs de distinguer si
c'était là le rire des autres. », Lautréamont, Les Chants de Maldoror,
Chant premier, § 5.

« Notre  destin  de  chair  est  absorbé par notre destin d'ombre. Une
mythologie  puissante,  confuse  et  baroque,  naît  sur  les murs des
villes,  dans les pages des quotidiens, dans la nuit des cinémas, dans
la  foule  ameutée  des  meetings.  Les mêmes mécaniques publicitaires
lancent  une  marque  d'apéritif  et  propagent  les mots d'ordre d'un
dictateur », Georges Hyvernaud, La peau et les os, 1949.





Médias,   médiation,   hiérarchie :  l'intégration  dans  le  jeu  des
institutions

La séparation qui existe à l'intérieur des mouvements de contestation,
entre  « révolutionnaires »  et  « réformistes »  (autrement dit entre
groupe  « radicaux » et groupes « institutionnels »), gravite beaucoup
autour   de   l'enjeu   des   médias   et  de  communication :  Les  «
groupes radicaux »  vont  tenter  d'interpeller les consciences par le
biais  d'actions  directes à fort potentiel symbolique. La plupart des
black  blocs,  par  exemple,  sont  conscientEs que leur mode d'action
permet  d'attirer  les  médias. Mais, même s'illes considèrent que les
médias  peuvent  être  un  moyen  indirect  d'accroche,  illes  savent
toutefois  que  c'est un médium lésé qui peut se retourner contre soi.
Dans  tous  les  cas,  c'est  un « moyen » incertain, puisqu'il est de
toute  façon  à voie unilatérale, les individuEs en question excluant,
en  général,  l'idée  de  répondre  à  des  interviews,  et les médias
contrôlant  et  déblatérant  tout ce qu'ils veulent quoiqu'il en soit.
Alors que pour les « réformistes », l'utilisation des médias institués
est  non  seulement  un  moyen,  mais  aussi  quasiment une fin. Leurs
procédés  fonctionnent ainsi selon la logique des lobbies, ayant alors
pour  perspective  une  lente intégration dans le jeu des institutions
médiatico-politiques.   La   stratégie  des  mouvements  comme  Attac,
notamment   lors   des   contre-sommets,   réside   dans  l'espoir  de
« détourner »  les  mass-médias  afin de faire passer leur message, en
espérant  par  là  convertir le plus grand nombre. C'est un peu l'idée
qu'il  suffit  de  s'immiscer  dans  les  mass-médias  pour  faire  un
mouvement   de   masse.   Certes,  cette  méthode  peut  permettre  la
stimulation  du réveil politique de quelques-unEs ; mais elle reste de
toute  façon  insuffisante,  car  le  "travail"  de  révolte nécessite
précisément une réflexion profonde et structurale de chacunE.

Aussi,  cette  stratégie  « réformiste » vis-à-vis des médias, ne fait
que  refléter  la  perspective politique de ces mouvements qui restent
accrochés    à    des    logiques    de   pouvoir   hiérarchiques   et
institutionnelles.   Déjà  en  soi,  chaque  médiation  sous-tend  une
hiérarchisation,  et  c'est  d'autant plus évident lorsqu'il s'agit de
machines  médiatiques  officielles qui se posent comme les (instances)
médiatrices de la vérité universelle, voire qui prétendent représenter
« l'opinion  publique ».  Et ce discours de hiérarchie représentative,
on  le  retrouve  à  travers  la  rhétorique  « citoyenniste »  de ces
mouvements  qui  se  veulent  porteurs  d'un  projet  de modernisation
« citoyenne »    du   capitalisme,   entrant   ainsi   dans   le   jeu
« démocratique » que les instances de pouvoir proposent justement pour
canaliser  la  contestation  et  faire  accommoder (ou raccommoder) le
capitalisme  sans  le faire disparaître. Cette théorie du citoyennisme
croit par conséquent à un Etat régulateur où le/la « citoyenniste » se
définirait  comme une classe, de surcroît « éclairée », se déférant le
statut de représenter l'avatar dont ille croit s'octroyer la parole, à
savoir  le/la  citoyenNE.  Ainsi,  dans  cette  logique de communiquer
envers  la « société civile » en passant par les médias institués, les
mouvements   citoyennistes   prétendent  justement  représenter  cette
« société  civile »  que  les partis et les syndicats traditionnels ne
sont  plus  capables  de  représenter  selon  eux. Si tant est que ces
structures aient un jour représenté ce qu'elles prétendaient, avec les
théories  citoyennistes,  on  passe  d'un  système représentatif (donc
hiérarchique)  à  un  autre,  fermant  par  là  la porte aux principes
alternatifs d'autogestion que nous essayons de promouvoir.

Par  ailleurs,  le  schéma  de la politique politicienne nous a depuis
longtemps  montré  que  toute  structure basée sur l'unique concept de
« représentation »  menait  à  une  « spectacularisation »  de  la vie
politique  et,  par  là,  à son désintérêt, voire à son rejet, par les
populations.  Cette  mise  en  spectacle  ou cette mise en scène de la
gestion  de  nos  vies,  les directions médiatiques s'emploient depuis
longtemps  à  les  ordonner,  ou  plutôt  à  les  coordonner  avec les
instances  politiques. C'est pour cela que la stratégie des mouvements
« réformistes »  vis-à-vis de l'utilisation des médias officiels sonne
comme une gageure. Qui croit en effet manipuler la plus grosse machine
manipulatrice  si  ce  n'est  cette  machine elle-même ? Et on aboutit
alors souvent à un :


Retournement de situation

…  car  à  défaut de pouvoir instrumentaliser les médias institués, ce
sont  ces  derniers  qui  finissent  par  récupérer ceux et celles qui
croyaient en faire un usage subversif.

Cette  récupération  passe d'abord, on l'a vu, par une différenciation
manichéenne  qui  va leur permettre de choisir ouvertement ceux/celles
avec  qui  ils  auront décidé de discuter (car les médias savent qu'au
final ils les grugeront), et celles/ceux qu'il faudra marginaliser et,
par  là,  détruire.  Autrement  dit,  il  s'agit  de  différencier les
« bonNEs » des « mauvaisES » contestataires. Cette tactique des médias
trouve   écho   dans   l'idéologie   citoyenniste :   celles/ceux  qui
« cassent »  et  qui  refusent  d'entrer  dans  la table (biaisée) des
négociations  ne sont plus dignes d'être entenduEs, car on ne peut pas
discuter  avec  elles/eux (faut-il ajouter qu'elles/eux non plus ne le
souhaitent).

Cette  récupération passe ainsi par des tentatives de « détournement »
de  la contestation populaire, par les partis politiques qui se voient
dépassés  par  un mouvement qu'ils n'ont pas vu venir (car venant « du
bas »).  Ces  derniers  tentent dès lors de tout faire pour prendre le
train  en marche afin de le contrôler, et à terme l'arrêter. Ainsi par
exemple,  c'est  sans  vergogne  que  dès  le 1e Forum Social de Porto
Alegre  (mis  en place depuis 2001 en vis-à-vis du Forum Economique de
Davos,  et  dont  les  mouvements  citoyennistes,  à l'instar d'Attac,
tentent  de  s'accaparer l'organisation), les politiciens qui désirent
s'acheter une étiquette « sociale », se rendent à ce rendez-vous de la
contestation.  Et  précisément,  le traitement qui en est fait par les
médias  officiels  se  réduit  au récit de la venue de ces politicards
comme  Chevènement  (le  « Che »), Hollande, Schröder et même certains
pontifes  du RPR. Aussi, dans des optiques électoralistes, on a vu les
partis  institutionnels de « gauche », comme les Verts, se réclamer du
mouvement  « anti-mondialisation »,  voire  se  targuer  de l'héritage
historique   du   mouvement.   On   peut   dès   lors   imaginer   ces
ex-soixante-huitardEs   convertiEs   à   la   religion   politicienne,
déclarer :  « c'était  nous  les  premierEs  à  avoir dénoncé, grâce à
l'écologie  politique, les effets de la mondialisation capitaliste sur
l'environnement  humain,  foi  de  libéralE-libertaire ! » ; ou encore
citer   Attac  qui  s'attribue  désormais  l'hérédité  historique  des
contre-sommets.   Par  ailleurs,  ces  contestataires  qui  prétendent
instrumentaliser  les  outils  de  « l'ennemi », sont vouéEs à sombrer
dans  une rhétorique trop contradictoire. Que répondre lorsque Vivendi
se targue d'être un groupe moderne et d'ouverture quand il diffuse ces
« anti-mondialistes »  que  sont Zebda ou Noir Désir via son satellite
Barclays,  ou  encore  José Bové via les éditions de La Découverte que
J.M. Messier a aussi achetées. Chez Vivendi, on est même un peu copain
avec Ignacio Ramonet, co-fondateur d'Attac, puisqu'on possède une part
du  Monde  récemment côté en bourse, et donc du Monde diplomatique qui
est  lié  à  la  maison-mère. Et Bové aura beau publier désormais chez
Fayard ;  ce  sera  Hachette-Lagardère son nouveau soutien logistique.
Cette  contradiction  dans  les  tactiques de diffusion ne reflète, au
fond,   que  la  contradiction  stratégique  des  « réformistes »  qui
stigmatisent  le  capitalisme comme étant à l'origine des antagonismes
sociaux,  tout  en  se  prononçant  seulement  pour  une régulation du
système  capitaliste  via  notamment  les  taxations financières (taxe
Tobin).

Ce  discours  schizophrénique  n'est  pas  la  seule conséquence d'une
récupération par les pouvoirs médiatiques. La déformation des messages
peut  aussi  en  résulter. Car s'installer à la table des négociations
implique  de  se  plier  aux  règles de la médiation institutionnelle,
laquelle contrôle cette table, ses micros, et y distribue la parole et
le temps de parole.


Information, déformation et réduction du message

Le traitement in-vivo des contre-sommets induit en soi la construction
d'une  mise  en  scène  de  la  contestation :  les black blocs, c'est
pratique,  car  ça  fait vendre des images spectaculaires de guérillas
urbaines,  images  qui  constituent  le  fonds  de commerce des médias
toujours  friands  de  scènes  qui permettent de répandre le sentiment
d'insécurité.  Les  messages  politiques se retrouvent ainsi réduits à
des  photos-spectacles. Et les médias vont dès lors rapidement oublier
ce pourquoi les manifestations ont eu lieu, notamment lorsque la suite
entrera  dans  la  phase  « inculpation  des  manifestantEs  des  mois
après ».

Ensuite,  ces  médias  vont tenter d'imposer LA figure charismatique à
travers   laquelle   ils   vont   réduire  l'ensemble  des  mouvements
contestataires. En France, c'est évidemment José Bové, lui-même réduit
à  l'état  de  caricature  puisqu'il  a  sa  propre  marotte  dans les
Guignols.   On  pourrait  ainsi  consacrer  toute  une  étude  sur  le
traitement  médiatique  de  la figure de Bové qui est devenu un mythe,
déformation  faite  peut-être  à  son insu, même si le personnage joue
lui-même  beaucoup  sur  ce registre-là. La réaction de ce journaliste
d'Arte rendant compte de la kermesse de Millau (juill. 00) était assez
univoque.  Il  pestait poliment contre Bové après avoir compris que ce
dernier  tentait  de « manipuler » les médias que, lui, incarnait ; et
on  sentait  dans son propos qu'il allait dans un délai prospectif, se
venger et reprendre sa place de manipulateur (de caméra ?).

C'est  aussi  justement  à travers la figure médiatique de Bové qu'est
venue  s'amalgamer une déformation majeure du message contestataire, à
savoir      l'utilisation,      très     fourre-tout,     du     terme
« d'anti-mondialisation »  pour  désigner  les  opposantEs  à  l'ordre
capitaliste.     Rappelons     qu'à     l'origine,     cette    notion
« d'anti-mondialistes »   renvoyait   aux   souverainistes  et  autres
nationalistes  hostiles  à  l'ouverture  des  frontières.  Et  si Bové
stigmatise   cet   amalgame,   c'est   qu'à  travers  une  déformation
iconologique,  il est devenu le gaulois Astérix aux longues moustaches
(et  à  la  pipe ?)  qui résiste farouchement contre « l'envahisseur »
romain  (lire « américain »). Les « anti-mondialistes », à travers les
grands   médias,   apparaissent   souvent   comme   ces  « méchantEs »
anti-américainEs  primaires,  légèrement béotienNEs et casanierEs, qui
visent  uniquement  à  défendre  leur  Roquefort  contre  le  terrible
McDonalds,  et  qui  en  appellent  à  l'Europe  (ou aux nations) pour
réguler  et  contrôler  les  marchés.  D'autant  que si Chevènement et
d'autres  souverainistes s'y mettent et prennent un abonnement à Porto
Alegre, le tour est plus facilement joué…

Ainsi,   ça  rassure  l'ordre  médiatico-policier,  le  fait  que  les
contestataires  soient  des  « anti-mondialistes »  qui prôneraient un
contrôle   du  capitalisme  grâce  aux  frontières  du  « bon  vieil »
Etat-Nation.  Ça  rassure,  même  si malgré leur étouffement, des cris
discordants  arrivent  à  essaimer.  C'est  alors  là  que  la machine
criminalisante  (ou  normalisante)  se  met  en place. Et ceci se fait
notamment  grâce  aux  outils  médiatiques qui ont déjà brossé l'image
du/de  la  « bonNe  contestataire »,  c'est-à-dire  celui/celle qui ne
« détruit »  pas, est ouvertE à la discussion (lire « la concession »)
et ne remet pas profondément en cause l'ordre structurel des choses.


Processus de marginalisation

 « A  travers  quels jeux de vérité l'homme se donne-t-il à penser son
 être  propre  quand  il  se perçoit comme fou […] quand il se juge et
 punit  à  titre de criminel », Michel Foucault, L'usage des plaisirs,
 Gallimard, 1984, p. 13.

« La  première  réaction  du pouvoir vis-à-vis d'un groupe de guérilla
n'est   pas   d'ordre   militaire   ou  policier ;  il  cherche  à  le
disqualifier »,    Maurice   Lemoine,   « Rebelles,   guérilleros   et
terroristes », in Le Monde Diplomatique, janv. 2002.

Ce  processus  constitue  évidemment  le  corollaire  des  procédés de
récupération,  dans  le sens où celles/ceux qui refusent d'intégrer le
jeu    médiatico-institutionnel   se   voient   marginaliséEs   (leurs
revendications étant alors considérées comme anormales et démesurées).
 

Mécanique, relais et théorèmes d'infiltration

Cette mécanique de marginalisation passe par divers médiums, notamment
par  celles/ceux qui prétendent incarner la contestation « légitime ».
Ces  dernierEs vont ainsi alimenter le discours visant à « épurer » le
mouvement  contestataire.  On  a  vu  récemment  des exemples concrets
montrant  la  participation  volontariste de certainEs « réformistes »
cherchant  à  discréditer  les  franges  radicales. C'est notamment la
fameuse  théorie  développée par certainEs états-majors d'Attac (Susan
George,  Bernard  Cassen…)  sur  les soi-disant accointances des black
blocs  avec  la  police  durant le contre-sommet de Gênes. On pourrait
d'ailleurs  faire  une  analyse  linguistique  de  leurs  propos,  qui
démontrerait  clairement  les  intentions  de ces gens-là : au lieu de
parler  d'infiltration de la police dans les cortèges de manifestantEs
comme il y en a toujours eu (soit pour moucharder, soit pour provoquer
plus  rapidement  la  répression),  illes ont affirmé avoir assisté ou
entendu  des  témoignages  prouvant la complicité entre carabiniers et
éléments  des  black  blocs. On peut ainsi citer Susan George dans son
article  du  Monde  Diplomatique paru en août 2001 : « Des témoignages
existent  en  effet  de  la  complicité des autorités avec les groupes
provocateurs  du  Black  Bloc qui ont ravagé une partie de la capitale
ligure ».

Dans le même numéro, Ricardo Petrella (prof. à l'université catholique
de  Louvain  en  Belgique) enchérit : « Les témoignages de brutalités,
voire  de  sévices,  sur  des  manifestants ayant recours à des formes
non-violentes  de  désobéissance civile – alors que la police laissait
faire les groupuscules de casseurs professionnels… ».

Et  même  si  certainEs  vont  nuancer  cette  théorie  (un  peu  trop
« grosse »)  de la connivence entre black blocs et les flics, illes ne
se  gêneront  pas  pour  jeter l'opprobre sur les groupes « radicaux »
qui, par leurs actes, se désolidariseraient du reste des manifestantEs
en  faisant  abattre  sur ces dernierEs le plus gros de la répression.
Faut-il préciser que lors des contre-sommets, les groupes « radicaux »
(ou plutôt les groupes « actifs ») contribuent à tisser une solidarité
à  l'intérieur  des  mouvements  en  n'hésitant  pas,  par  exemple, à
arracher  des  mains  de la police des personnes (« non-violentes » et
autres)  sur  le point de se faire embarquer. De même, la mobilisation
contre  la  réunion  du  FMI  et de la Banque Mondiale à Washington en
avril  2000,  montra que le black bloc pouvait agir de concert avec le
reste  des  manifestantEs. Ce dernier réussit notamment à contenir les
forces policières en installant un « cordon » qui défendait le cortège
de  désobéissance  civile.  Mais  de  toute façon, quand bien même les
manifestations  seraient  entièrement  « non-violentes »  (ce qui pose
déjà  le  problème  du  dualisme  trop simpliste entre « violence » et
« non-violence »),  la répression trouverait toujours un prétexte pour
réprimer – le pléonasme sous-entendant que c'est sa raison d'être. Par
contre,  d'autres témoignages semblent se retourner contre celles/ceux
qui  accusent  les  groupes « radicaux » de complicité avec la police.
Celui  de  cette  ex-secrétaire  d'Attac,  présente à Gênes, est assez
révélateur  de la quasi-connivence du service d'ordre d'Attac avec les
forces  de  police.  La  militante  réagissait  alors  à  la situation
d'encerclement  dans  laquelle  le  groupe où elle était, évoluait. Le
cortège avait notamment été divisé par une escouade de flics qui avait
réussi  à  cantonner  vers  l'arrière un petit groupe de manifestantEs
pour  les  tabasser.  Celle-ci s'empressa alors de remonter le cortège
pour   rapporter   l'information  à  Christophe  Aguitton  (état-major
d'Attac),  la réponse de celui-ci fut non sans équivoque : « mais bien
sûr  […]  nous  avons  collaboré  tous  ensemble,  afin d'éviter toute
confusion,   et   je  ne  comprends  pas  où  vous  voulez  en  venir,
Mademoiselle, et vous vous trompez dans vos insinuations ».


Stratèges et tendeurs

Les  procédés  de criminalisation passent aussi par des tactiques plus
ou  moins  contextuelles  à l'instar de la « stratégie de la tension »
comme on a pu le constater à Gênes. Autrement dit, il s'était instauré
un  climat  de  tension  avant,  pendant et après le sommet. Ce climat
était  entretenu  par  des  pratiques mystificatrices de la part de la
police   italienne,   celles-ci   étant   relayées   par   les  médias
institutionnels,  démontrant  de  nouveau les liens concomitants entre
discours  « légitime »  et  violence  « légitime ».  Ainsi,  certainEs
journalistes  parlèrent, juste avant le G8, d'un « hangar » qui devait
être  destiné  à  l'accueil  d'éventuelLEs mortEs, annonçant par là le
degré ultime de répression qui devait s'abattre sur les manifestantEs.
L'installation  du grillage et des murs d'enceintes divisant la ville,
ainsi  que  le  dispositif  policier  mis  en  place,  contribuaient à
renforcer   cette  acclimatation.  De  même,  toujours  avant  le  G8,
l'annonce   de  plusieurs  « attentats »  et  alertes  à  la  bombe  à
l'encontre  de  symboles  policiers  et  institutionnels, fit effet de
psychose.  D'autant  que  tous ces actes n'étaient pas revendiqués, et
semblaient  rappeler  les  sombres  heures  de  la  « stratégie  de la
tension »  durant  les  années  70-80, durant lesquelles le pouvoir en
place  tenta  de discréditer les mouvements d'extrême-gauche (lesquels
avaient  de fortes assises populaires), en organisant, par le biais de
loges   secrètes  proches  de  l'extrême-droite,  des  attentats qu'il
faisait passer comme émanant de ces groupes révolutionnaires.


Rancœurs historiques : la lumière ombragée de mai 68

Ces   procédés  de  marginalisation  cachent  aussi  des  enjeux  plus
structurels, dans le sens où on va voir émerger dans les discours, des
interprétations  révélant des rancœurs vis-à-vis de l'histoire plus ou
moins  récente.  CertainEs  vont  ainsi  profiter  de ce contexte pour
régler  des  comptes  (enfouis)  avec l'histoire, en l'occurrence avec
« mai 68 ».

Dans  certains  médias,  il  apparaît  souvent  que  le  mouvement des
contre-sommets  semble  faire écho à la « révolution » de 68, laquelle
avait  relativement  échoué. Ceci aurait pu sonner comme un compliment
si  toutefois on oubliât que ce vent d'espoir véhiculé par 68, fut lui
aussi  délayé  dans un processus de récupération (récupération du fait
de  la  présence  de mouvements réformistes, d'une marginalisation des
critiques   radicales…et   à   terme,  d'une  réduction  des  messages
politiques  profonds  à  de  simples  slogans  récupérés par les lieux
communs    politiciens   et   par   la   pub).   On   retrouve   cette
criminalisation de   « l'héritage   68 »  dans  la  transposition  des
discours actuels sur « l'insécurité ». Si on prend l'exemple des black
blocs,  leur message politique, dans la plupart des médias, est réduit
à  l'image  de  « casseurs »  (ignorant  au passage les « casseuses »,
c'est  étonnant !).  Pour  ces  médias,  il  s'agit  donc  d'individus
« inconscients »,  faisant  par  là  un  parallèle  avec  les révoltes
« spontanées »  dans  les  banlieues,  révoltes  durant lesquelles les
journalistes  omettent  de  mentionner  ce  qui est à l'origine de ces
émeutes  légitimes :  c'est-à-dire  trop  souvent  des  assassinats de
personnes  du quartier par un keuf ou un commerçant zélé, et surtout :
les   fondements  latents  qui  sous-tendent  une  oppression  sociale
(xénophobie  d'Etat  et  xénophobie moins institutionnelle, politiques
d'immigration,  double-peine,  contrôle  social,  misère économique…).
C'est  par  ce  mécanisme  d'occultation  simpliste que les médias ont
construit  l'image folklorisée des quartiers populaires comme étant la
figure   de   « l'insécurité ».  Or,  le  discours  sécuritaire  tente
aujourd'hui  de  chercher  les  causes  de  « l'insécurité »  dans  le
soi-disant  « laxisme »  crée  par  mai  68.  Ainsi,  on  a vu Chirac,
notamment  dans  son  discours  de campagne à Mantes-la-Jolie (04 mars
02),  accuser  le  «il  est  interdit  d'interdire »  de  68, d'être à
l'origine  de tous les maux de la société. D'autres encore incriminent
le  slogan  soixante-huitard  « CRS  =  SS »  pour  « réhabiliter » la
flicaille  qui exprima récemment son soi-disant malaise dans les rues.
D'autres  (ou les mêmes) remettent en cause la « révolution sexuelle »
et   le   combat   féministe   issu   de   ces   années,  comme  étant
génératrice/teur  du  « laxisme  destructeur » actuel (revenant par là
sur le principe de la déconstruction des genres, voire sur la question
de  l'avortement  pour les plus réactionnaires). Par conséquent, si on
suit ce discours, aujourd'hui dominant car relayé par les mass-médias,
c'est  la  faute à 68 et à ses enfantEs (les contre-sommets notamment)
si les "bourgeoisES" se font attaquer dans les rues.

Néanmoins,   on   assiste   aussi   à  une  évolution  des  paradigmes
criminalisant  les « dangereuses utopies » : de l'image du « casseur»,
on  veut  désormais  revenir à celle du « terroriste », comme au « bon
vieux  temps »  où  dans  l'imaginaire  médiatisé,  l'anarchiste était
celui/celle  qui  posait  des  bombes  et  tuait  des présidents de la
république  et  des  patrons,  comme  à  la  fin du 19e s., ou comme à
l'époque  des  groupuscules  « radicaux »  des  années  70-80  (Action
Directe,  Fraction  Armée  Rouge, Brigades Rouges…). Là aussi, on veut
régler ses comptes avec 68 qui, devant l'impasse et la récupération du
mouvement,  avait vu se développer un volontarisme de lutte armée. Une
certaine  rhétorique  trotskiste, par exemple, n'hésite pas à comparer
les  groupes  affinitaires  du black bloc à la fuite en avant d'Action
Directe qui par ses pratiques, selon elle, a voulu se « substituer aux
masses »   (discours   qui   oblitère   l'assise   populaire  que  ces
groupuscules  ont eu un moment donné). D'ailleurs, cette évolution des
groupes  contestataires  « radicaux »  à  travers  les représentations
médiatiques,  se  trouve  étayée  par  les  politicienNEs  qui tentent
actuellement  d'élargir  la  définition  du  « terrorisme ».  Lors des
réunions    interministérielles    européennes,   les   ministres   de
l'Intérieur,  au  moins  depuis  l'an  dernier,  aimeraient  bien voir
s'étendre  cette  définition aux groupes « anarchistes » (surtout dans
les  pays du Sud européen, comme la Grèce, l'Espagne, l'Italie, où les
groupes  « radicaux »  sont plus actifs qu'ailleurs). Ce projet semble
en  tout cas être favorisé par la conjoncture du « 11 septembre », qui
a  vu  se multiplier dans tous les Etats, des lois « antiterroristes »
qui,  à  l'occasion, peuvent permettre d'inclure dans leur législation
pénale,  les  personnes  qui  contestent  par  n'importe  quel  moyen,
« l'ordre politique, social et économique » dominant.


L'image et le message

« Le spectacle est alors la culture qui naît de l'économie marchande –
le  décor  est  planté,  l'action se déroule, nous applaudissons quand
nous  pensons  être  heureuxSES, nous baillons quand nous pensons nous
ennuyer,  mais  nous  ne  pouvons  pas  quitter le spectacle [...] Ces
derniers  temps, cependant, la scène sociale a commencé à s'effondrer,
il  est  donc  possible  de  construire un autre monde en dehors de ce
théâtre  –  un vrai monde, cette fois, un monde dans lequel chacunE de
nous  participe  en  tant  que  sujet,  pas  en tant qu'objet »,.Carol
Ehrlich, Les femmes et le spectacle, 1977.

« Le  dogme  chrétien est contenu dans le Credo, je le veux bien, mais
du   Credo   à   ma   conscience   individuelle   il   y  a  un  monde
d'interprétations,  des bibliothèques des saints, des hérésies, et des
conciles.  Et  seul  l'enfer  n'a  jamais  varié. »,  Antonin  Artaud,
Héliogabale ou l'anarchiste couronné, 1934.


Toutes   ces   questions   concernant  le  traitement  médiatique  des
contre-sommets,  nous amènent à considérer le problème plus général du
rapport  à  l'image  auquel  nous  sommes  confrontéEs  à  travers nos
démarches  de  « communication »,  où  la construction de nos messages
politiques tente de répondre au désir de les transmettre.


Spectacle et symbole

Il  semble primordial de considérer les contre-sommets sous l'angle du
raisonnement   symbolique,   que   ce  soit  avec  la  destruction  de
« vitrines »  capitalistes,  ou la tentative de pénétrer dans "la zone
rouge"  pour  en  perturber  le  déroulement,  voire le simple fait de
manifester.  Durant  ces  contre-sommets,  la contestation se donne de
toute  façon  en spectacle (la contestation est en soi spectaculaire),
car  il  faut reconnaître que bloquer un sommet de l'OMC, ce n'est pas
ce  qui provoquera la « révolution » du mythique « grand soir ». Etant
donné  que  les contre-sommets sont peut-être entrés dans une phase de
spectacularisation,  voire de folklorisation, il s'agit de se demander
si  ce  type d'action n'est pas devenu en fin de compte sclérosant. Se
pose  par  là  l'avenir  des  contre-sommets.  Faut-il  poursuivre  la
dénonciation  des  sommets  en participant à ces « kermesses » que les
« réformistes »  tentent  de  s'approprier ? Faut-il proposer d'autres
mode  d'actions,  viser  d'autres  cibles  directes  ou indirectes des
ennemiEs qu'on essaye de combattre (la réponse est oui, mais encore) ?
Tout  ceci  au  risque  de laisser les « réformistes » s'emparer de la
contestation au niveau communicationnel…


Le paradoxe du médium

Ainsi,  même  si  on  se  place  dans une critique des médias et de la
société  du  spectacle,  il faut reconnaître la nécessité de s'appuyer
sur  des  médiums  pour  pouvoir  répandre  un  message  qui  se  veut
alternatif,   voire   révolutionnaire.  Et  ceci  doit  tenir  compte,
semble-t-il,     d'éléments    contradictoires :    l'efficacité    de
transmission,  les  aspects  « cathartiques »  dans  l'acte  politique
(c'est-à-dire  les aspects spontanéistes, voire jouissifs dans l'acte,
qui sont aussi légitimes), la critique vis-à-vis du recours aux médias
institutionnels.  Doit-on  pour  autant  ignorer ces médias officiels,
quand  on  sait  que ces derniers ne nous ignorent pas complètement et
parlent de « nous », même s'ils le font en déformant les messages ? Et
cette  question  rejoint  peut-être celle du rapport à entretenir avec
les outils institutionnels dans une situation où les rapports de force
sont  défavorables.  Quand  il  s'agit  notamment  de  répondre  à  la
répression   qui  s'abat  lors  des  contre-sommets,  ne  doit-on  pas
nécessairement  composer  avec les outils judiciaires des institutions
qu'on  dénonce, dans le but de se défendre un tant soit peu et limiter
la  casse (dans  le  cas  de  manifestantES  incarcéréEs)  ? En outre,
sommes-nous  capables  de développer nos propres médiums indépendants.
Et  cela  ne  concerne  pas systématiquement le recours à une « grosse
machine »  de  transmission  alternative,  comme  tend  à  le  devenir
peut-être parfois Indymédia. Mais il s'agit aussi de poser la question
d'une  transmission  à  une  échelle plus accessible : nous-mêmes, par
exemple,  sommes-nous  capables de servir de médium à des proches, des
individuEs  plus  isoléEs dans la rue ou dans nos autres lieux de vie,
de travail, d'études… ?

Et  finalement,  il  se  peut  aussi  que  l'objectif  réside  dans le
dépassement  de  l'image  et du médium. Car de toute façon, tout biais
spectaculaire  peut  mener  à des désillusions et à une simplification
des  problèmes. Il s'agit d'insister sur la nécessité d'une révolution
immanente   et  quotidienne,  afin  de  parfaire  la  construction  de
l'individuE,  individuation  vers  laquelle  on  essaye  de tendre. Et
plutôt  que  de  miser  uniquement  sur  de  la « communication » (qui
sous-tend  une  logique  à  court  terme  et ne reste qu'un moyen), ne
faut-il pas insister sur le concept de « transmission », qui tend plus
vers  le  long  terme  et suppose un travail de critique permanent sur
soi.


Kandjare (Dijon, mai 2002)

kandjare@altern.org

_____________________________________________
#<nettime-fr@ada.eu.org> est une liste francophone de politique,
 art et culture lies au Net; annonces et filtrage collectif de textes.
#Cette liste est moderee, pas d'utilisation commerciale sans permission.
#Archive: http://www.nettime.org contact: nettime@bbs.thing.net
#Desabonnements http://ada.eu.org/cgi-bin/mailman/listinfo/nettime-fr
#Contact humain <nettime-fr-admin@ada.eu.org>