Centenaire de la mort d'Isabelle Eberhardt*
[Aïn Sefra, Algérie ~ 21 octobre 2004]
Fille (mère
juive d'origine allemande) et fille d'adoption (père, pope défriqué et
anarchiste) russes émigrés en Suisse, qui éduquèrent eux-mêmes leurs
enfants dans l'érudition des lettres anciennes et modernes et des
sciences, cadrés par un radicalisme transgressif ; polyglotte, elle devint journaliste à Paris ;
fascinée par l'Afrique, elle fit un premier voyage au Maroc, où pour fréquenter
les endroits interdits aux femmes elle commença à faire son
ordinaire de se vêtir comme un homme. Androgyne et au-delà de la
morale, elle était amoureuse de son frère qu'elle suivit à
Marseille lorsqu'il s'enrôla dans la marine, où elle
rencontra Slimène, algérien postier de l'armée qu'elle épousa et suivit en
Algérie où ils s'installèrent dans la ville de garnison de Lyautey, à Aïn Sefra.
Cavalière exceptionnelle, elle arpenta les déserts du Maroc à la Tunisie et en
fit relation écrite et dessinée dans la Presse en France et à Alger ;
elle se convertit au soufisme, fut active pour la cause des arabes auprès
desquels elle fut missionnée plusieurs fois par
Lyautey.
Le 21
octobre 1904, elle fut emportée avec sa maison par les eaux torrentielles et
soudaines de l'oued en crue. C'est l'anglaise Lesley Blanch, disparue
depuis peu d'années, la première femme de Romain Gary, qui après la seconde
guerre mondiale dédiant à son mari un livre, y rappela l'épopée d'Isabelle
Eberhardt parmi les aventurières célèbres, volontaires ou accidentelles, qui
vécurent des amours étonnantes ou des passions contradictoires avec l'éducation
qu'elle avaient reçue, souvent dans d'autres pays que ceux où elles étaient
nées... : "Les rives sauvages de l'amour", édition originale en français en
1954, chez Plon, à Paris. (Titre de l'ouvrage paru en anglais : The
wilder Shores of Love, chez Paperback). Le livre de Lesley Blanch croisa la route de la Beat
generation aux Etats-Unis, puis, dans les années 70, Ferlinghetti édita un
ouvrage socio-ethologique suggéré par les premières traductions en anglais des
Carnets d'Isabelle Eberhardt par Paul Bowles, passionné de voyages et
par l'Afrique du Nord, édition la présentant à des âges
différents dans trois photographies
qui frappèrent l'imagination, en un temps où les signes de
séduction énigmatique commençaient à émerger publiquement
(Titre original : "The Oblivion
Seekers", City Lights books, 1975) ; c'est à travers
une page arrachée à ce livre dans City Lights bookstore, à San
Francisco, qu'elle revint provoquer l'Europe sous un jour
fascinant pour les gauchistes féministes et les punks déconstructivistes,
et auprès des cinéastes proches de l'underground en quête de sujets
critiques radicaux et intenses, alors que le livre de Lesley Blanch était
quasiment oublié - épuisé non réédité - en
France.
Pendant ce
temps, Edmonde Charles-Roux, amie de Lesley Blanch (journaliste brillante et
excentrique d'une grande beauté, dont on dit qu'elle fut la première
lectrice de Gary et qu'elle lui apprit beaucoup, vivant à Nice après leur
séparation), préparait la biographie exhaustive en plusieurs volumes qui
parut chez Grasset... On appelle cela "les coïncidences" ou "l'air
du temps". En effet, incarnant mémorablement plusieurs aspects matériels,
sexuels ou affectifs hors limites, dans les années 70 et 80 dela libération
sexuelle et de l'éclatemetn des cultures, Isabelle Eberhart fut un des icônes
charismatiques de l'émancipation ; bien qu'hétérosexuelle - bisexuée
pourrait-on dire - elle fut un personnage également représentatif de la
passion et de la transgression pour les homosexuelles, alors en plein
développement de leur propres références et culture au vu du
public.
Il est à noter que le film de l'australien Ian
Pringle avec l'interprétation de Mathilda Mey fut précédé en 1984
d'un long métrage d'art inspiré par la période
algérienne d'Isabelle Eberhart , adapté librement et réalisé par
Christine Laurent : "Eden miseria" ; ce film produit par Paolo Bronco paraît peu
cité - à tort.
Un nouveau film, biographie documentaire
d'après les journaliers et les carnets, par une réalisatrice Turc, serait en
préparation à l'occasion du centenaire.
Christine Laurent
Lesley Blanch
* (s'écrit avec ou sans
"d") .